Instantané N° 39 octobre 2007

Rhamnosyltransférase

S’il a le choix, un enfant préférera un quartier d’orange à un quartier de pamplemousse…parce que l’orange n’est pas amère. L’amertume familière que l’on perçoit en mangeant un pamplemousse est due à une molécule connue sous le nom de naringenin-7-O-neohesperidoside ou naringine. La naringine est une flavanone. Les agrumes – tels que les oranges, les mandarines ou les pamplemousses –contiennent de grandes quantités de flavanones, certaines étant amères et d’autres insipides. Les oranges, comme les mandarines, renferment des flavanones dépourvues de goût alors que les pamplemousses accumulent celles qui sont amères. L’amertume d’un agrume est directement proportionnelle à la quantité de naringine présente dans le fruit.

La frontière entre les deux goûts est mince. L’amertume d’une flavanone dépend de sa structure moléculaire et plus précisément de la position d’un sucre – connu sous le nom de rhamnose – sur un second sucre lui-même greffé sur le squelette flavanone. Les sucres sont des molécules riches en atomes de carbone, symbolisés par la lettre "C", qui se succèdent et que l’on peut numéroter. Ainsi si le rhamnose se lie à la position C2 de l’autre sucre, il produira le familier goût amer. En revanche, s’il se lie à la position C6 du sucre, il ne produira aucun goût du tout. Qui est responsable de la position du rhamnose ? Une enzyme : la rhamnosyltransférase. Dans le pamplemousse, la coupable est connue sous le nom précis de 1,2 rhamnosyltransférase et transfère justement le rhamnose à la position C2 du sucre.

La 1,2 rhamnosyltransférase est une protéine de taille moyenne qui fonctionne seule. Elle est largement exprimée dans les jeunes pamplemousses ainsi que dans les feuilles et les tiges du jeune pamplemoussier. Par conséquent, elle produit de grandes quantités de naringine qui peuvent constituer jusqu’à 75% de la matière sèche des fruits jeunes ! Le fruit mûr, cependant, n’exprime plus la 1,2 rhamnosyltransférase et la concentration de naringine est diluée ce qui rend le fruit mûr bien mois amer malgré la persistance de la sensation à la dégustation.

Pourquoi un fruit est-il amer? L’amertume est probablement un système de défense. Si le fruit jeune veut survivre, un moyen subtil pour lui de se tenir hors de la gueule d’un animal est de se rendre désagréable au palais. Regardez simplement un enfant mordre dans un fruit qui n’est pas mûr… Malgré son amertume, la naringine – comme toutes les flavanones – est bonne pour notre santé. Non seulement les flavanones participent au maintien de nos vaisseaux sanguins et de nos os mais elles agissent aussi en tant qu’agents anticancéreux. Autres qualités, elles se révèlent également être à la fois anti-allergiques, anti-inflammatoires et anti-microbiennes. Par conséquent, il n’est pas surprenant que les rhamnosyltransférases soient une cible biotechnologique pour manipuler le goût des fruits ou encore produire des flavanones dans un but médical. Le doux côté de l’amertume.

  • Flavonoid 1-2 rhamnosyltransferase, Citrus maxima (pamplemousse): Q8GVE3